LE DRE, UN DISPOSITIF EN TROMPE-L’OEIL

Publié le par C. Lage institutrice spécialisée en RASED.

 

Depuis 2005/2006, le Dispositif de Réussite Educative (DRE), né de la loi de Cohésion Sociale, impulsée par Jean-Louis Borloo se déploie dans les ZEP/REP de nombreuses villes dont Romans. Sa mission d’accompagnement des enfants « fragiles » questionne d’autant plus que l’école publique, laïque et républicaine est mise à mal par des réformes strictement comptables. A la veille de sévères restrictions budgétaires, du non remplacement d’un fonctionnaire d’Etat sur deux et au lendemain de la suppression de plus de 2500 postes d’enseignants spécialisés de RASED, on peut s’interroger en effet sur le caractère équivoque du message que livre le DRE.

 

Précarité et formation

Doté d’une subvention d’état, comprise entre 430 000 et 500 000 euros, selon les années, le DRE de la ville de Romans emploie une centaine de personnes. Il s’organise selon un modèle vertical, avec, au sommet, des coordonnateurs, responsables de la mise en œuvre des différents ateliers généralement animés par des étudiants. Ces derniers sont embauchés sur la base de contrat à durée déterminée et sur des temps particulièrement fractionnés. Ainsi, une municipalité qui revendique majoritairement des « idées de gauche » favorise sans complexe l’emploi précaire. Mieux, l’éloge est fait dans l’article de « Romans Mag » de Janvier 2010 de l’intérêt pour ces jeunes de vivre une première expérience professionnelle. Il s’agit en réalité de ce qu’on appelle communément « un petit boulot ». Nous aboutissons ainsi à la situation où des précaires en aident d’autres…

Dans ce même reportage, la formation de ces jeunes recrues est mise en avant. Elles s’apprêtaient en effet à suivre dix jours de stage. Même si certaines sont étudiantes, la fréquentation de l’université n’est pas le gage de compétences dans le domaine de l’enfant. Accompagner des élèves en difficulté scolaire requiert en effet des compétences spécifiques et la capacité d’adopter une posture « d’aîné », introduisant une dissymétrie. En creux, le DRE laisse penser qu’il suffit de quelques jours de formation pour ensuite proposer un étayage sérieux et efficace. Au bout du compte, ces pratiques de type libéral qui adoptent la maxime « C’est mieux que rien » fragilisent les systèmes d’accompagnement de l’Education Nationale qui ont fait leurs preuves depuis plusieurs décennies. Même si les responsables de ce dispositif se déclarent solidaires des enseignants, le DRE participe dans les faits, au retardement d’une prise de conscience collective de l’affaiblissement du service public de l’Education. Restant dans certaines écoles le seul interlocuteur, il masque les béances laissées par le dépiautage des RASED.

 

Les risques de confusions

Tout en assénant à intervalles réguliers que l’Ecole est un partenaire parmi d’autres, le DRE entretient avec cette institution des relations pour le moins ambigües. Dés lors que les identités des uns se mélangent à celle des autres, le terme de partenariat devient en effet inapproprié. Il serait plus adéquat de parler « d’enchevêtrement » ou encore de « chevauchements » :

Historiquement, le DRE s’est fait l’héritier de réflexions et d’actions déjà bien expérimentées par le groupe de travail du REP. Des enseignants en activité ou à la retraite ont largement contribué à son élaboration, mettant en œuvre tout leur savoir et leur expérience professionnelle. Le concept « Atout », par exemple, a été conçu par un enseignant spécialisé de RASED. Ce dernier a repris les objectifs de la rééducation qu’il a appliqués à une médiation spécifique, le football. Ce « patron » a permis ensuite de confectionner tous les autres ateliers « Atout » introduisant une variation dans l’activité. Ainsi se sont profilés les « Atout jardinage », « Atout chant »,…

Une partie des modalités d’accueil des élèves à l’école maternelle, construite au fil du temps par les enseignants spécialisés de RASED  et les enseignants a aussi été absorbée par le DRE. Il ne s’agit pas là d’entrer dans des querelles infantiles de « pré carré » mais plutôt de souligner le transfert de compétences, acquises et validées dans le cadre de l’Education Nationale vers le DRE.

La place donnée aux enseignants dans la mise en application du DRE participe aussi à la confusion. Les maîtres et maîtresses des élèves bénéficiant de l’activité « Coup de pouce » peuvent, s’ils le souhaitent, co-animer une semaine sur trois cet atelier. On peut se demander au passage s’il s’agit d’accompagner les enfants ou les animateurs …. Il était envisagé en Juin dernier, de négocier avec l’IEN une déduction de ces heures sur le quota des heures personnalisées. Avoir imaginé cet arrangement en dit long sur la clarté des représentations du DRE et sur son désir de « séduire » les enseignants. Il est probable en effet que leur participation inspire confiance aux parents. De façon insidieuse, les enseignants seraient mis à la fois dans une posture de garants du dispositif et de formateurs.

Leur emploi, dans ce cadre, soulève d’autres questions encore, à la fois au niveau de l’organisation de l’école et au niveau idéologique. La mise en place des équipes éducatives en est une bonne illustration : Comment en effet les planifier quand les directeurs animent tous les soirs de la semaine un atelier péri-scolaire « DRE » ? Par expérience, la pose méridienne n’est pas très favorable à ce travail qui requiert une grande disponibilité mentale.

Les enseignants, employés par le DRE se lient par les rémunérations qu’ils perçoivent. Ils sont par conséquent contraints de renoncer à leur impartialité et leur jugement est faussé par rapport au dispositif dont ils font partie. Concilier alors son identité de fonctionnaire d’Etat et de subordonné au DRE doit générer des conflits de loyauté, de valeurs et d’intérêts.

Enfin, les recouvrements DRE/ Education Nationale apparaissent au niveau de la sémantique. Ainsi, le nom de « conseiller pédagogique » est aujourd’hui utilisé pour désigner l’enseignant à la retraite chargé de guider les animateurs des « Coup de pouce ». Le terme de « soutien pédagogique » est aussi régulièrement employé.

Un deuxième foyer de confusions est inhérent au lieu d’exercice du DRE. Le mot « école » désigne à la fois les bâtiments et l’institution. Ainsi, le lieu contribue à la mise en place d’un cadre. Sans s’attarder sur la symbolique de son implantation géographique, les locaux désaffectés du RASED rattaché à l’ex-école Chopin, indiquons que ses actions se déploient surtout dans les écoles. A l’usage, il apparaît que les jeunes enfants ne différencient pas clairement les temps d’enseignements des temps d’appui proposés par le DRE. Les parents eux-mêmes ne distinguent pas toujours les deux. Il est pourtant essentiel que l’école reste perçue comme un lieu d’apprentissages et les enseignants comme des pédagogues. Or, dans certains cas, enseignants et animateurs sont mis sur le même plan. Les points de repères sont particulièrement ténus chez les élèves en difficultés. La qualité de l’école et de la formation des enseignants est par essence un des facteurs de cohésion sociale. C’est pourquoi il est tellement important que la définition des objectifs de la politique éducative reste du ressort de l’Etat.

Le « café des parents » constitue un risque réel de compromettre le cadre scolaire. Une fois par mois, à l’école maternelle, les familles peuvent échanger avec les enseignants et une psychologue clinicienne, employée par le DRE. Ce travail autour de la parentalité est essentiel, cependant, l’école n’est pas le lieu le plus indiqué pour dévoiler son intimité. Au fil du temps, une perméabilité préjudiciable se constitue entre les différentes sphères, scolaire et familiale, publique et privée, brouillant l’identité de l’école.

 

Les risques induits

Au moment où un comité de pilotage sur le rythme scolaire vient d’être mis en place, il paraît intéressant de se pencher aussi sur la longueur de la journée pour les bambins accueillis par le DRE. Comme la plupart sont en difficulté scolaire, ils bénéficient aussi de l’aide personnalisée et cumulent ainsi en moyenne huit heures par jour de présence à l’école. Des élèves de GS commencent par exemple leur journée à 8 heures en aide personnalisée et terminent à 18 heures après un atelier péri-scolaire. Les demi-pensionnaires, quant à eux, accumulent dix heures de présence, dix heures à supporter le poids de la vie en collectivité. De lieu d’apprentissages, l’école devient « nourrice » et peut dans certains cas extrêmes, encourager les parents à confier leur progéniture à une « bonne maman » qui saura mieux éduquer qu’eux-mêmes…

Ces modalités d’accueil dans l’école en disent long sur l’image que le DRE se fait de l’enfant et de sa famille. Là aussi, le dispositif propose un « trompe-l’œil ». La manière dont les élèves sont inscrits aux différents ateliers va dans le même sens. Très tôt dans l’année scolaire, des dispositifs « clés en main » sont proposés dans lesquels les enfants doivent être « casés ». Parfois, le nombre de places est supérieur au nombre d’élèves qui pourraient en bénéficier, ce qui aboutit à des situations paradoxales et choquantes : remplir à tout prix. D’une certaine manière les enseignants et les familles sont mises dans une posture de consommateurs. Le fait de passer très rapidement à l’action donne aussi bonne conscience et dispense parfois d’une réflexion plus pointue et plus engagée. Le sentiment du travail bien fait s’impose et rassure tout le monde…

 

Le DRE apporte sûrement aux familles et aux enfants mais les risques de dérives sont réels. Les divergences entre ses propos et ses actions paraissent importantes et invitent chacun à réfléchir sur la question ardue de l’aide aux populations dites « fragiles ». Il nous faudrait sans doute méditer davantage encore sur la frontière délicate entre aide et assistanat d’une part et substitution, dépossession et accompagnement, d’autre part. La solidarité est une des plus belles valeurs que l’être humain puisse porter, mais à condition de la mettre en œuvre avec respect et désintérêt.

Ce « colosse aux pieds d’argile » suspendu aux subventions de l’Etat représente incontestablement une machine politique sur le plan national et local. Il figure en bonne place dans la vitrine de la municipalité romanaise si l’on en juge par la fréquence des articles dans la presse communale. Il a donné l’illusion d’une installation dans la durée de par l’ampleur de son déploiement. Il s’est imposé en bousculant le fonctionnement des maisons de quartier, de l’Ecole, des associations sans se préoccuper des conséquences. Il s’est aussi fait l’instrument d’une politique libérale pour au final, se retrouver menacé… Le DRE va-t-il pouvoir tenir ses promesses encore longtemps ?

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A
<br /> Bravo! Ce texte ose dire enfin ce que pas mal d'enseignants pensent tout bas.<br /> <br /> <br />
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